Je serai sincère avec vous, jusqu’à il y a peu, je n’avais aucune idée de qui étaient Missak Manouchian et son épouse Mélinée. Ce n’est que leur entrée au Panthéon qui a stimulé mes recherches pour mieux les connaître. Je ne sais pas comment décrire ce sentiment que suscite en moi cette ferveur autour de la panthéonisation. Il est vrai que je ne viens pas d’un pays où l’on vénère les Grands Hommes et encore moins les Grandes Dames… À part Guillaume Tell, je ne vois pas. Déjà qu’il est difficile pour beaucoup de savoir qui préside notre pays, vu que cela change chaque année.
Certes il est important de se souvenir, même si cela rappelle la cruauté des hommes. Pourtant je m’interroge, est-ce qu’il suffit d’un hommage national pour effacer la honte ? Parce que malheureusement les aujourd’hui d’hier perdurent. Si quelqu’un comme Alexeï Navalny résiste, on le condamne à mort. Ce qui change avec les Manouchian c’est qu’ils résistaient dans un pays qui n’étaient pas le leur. Orphelins de leurs parents comme de leur pays, ils étaient des survivants du génocide arménien. Ils se réfugièrent en France et ils n’acceptèrent pas ce que beaucoup de Français s’étaient résignés à accepter : l’Occupation. Mélinée et Missak voulaient une France libre et ils n’avaient pas peur de payer la liberté de leur vie.
Ce soir-là, Mélinée ne voulait pas que son mari y aille, mais Missak n’avait que ce moyen pour avertir ses 22 camarades du danger. Ils étaient tous étrangers. C’était le 21 février 1944 sur la colline du Mont Valérien. Ainsi la photo de Missak se retrouva sur l’affiche rouge avec celles de ses compagnons d’infortune. Cette tache de sang fut placardée sur les murs pour montrer le sort que l’on réservait à ceux qui osaient résister. On y dénonçait leurs crimes contre les occupants et le fait qu’ils étaient étrangers, juifs ou communistes.
La lettre d’adieu écrite par Missak à sa femme Mélinée est émouvante. Aragon en a fait un poème en 1955, mais c’est surtout la chanson de Léo Ferré, publiée en 1961, qui suscite en moi des émotions controversées. Pourquoi ? Parce que cette chanson a été interdite d’antenne pendant plus de vingt ans et je ne comprends pas qu’elle pouvait en être la raison. Ce n’est qu’en 1982 que François Mitterand mit fin au monopole que l’État exerçait sur la diffusion radiophonique.
Le 21 février 1944, 22 hommes furent fusillés sur le mont Valérien. Parmi eux il y avait une femme, une mère de famille, 22 fusillés, pas 23, parce que dans la loi seuls les hommes pouvaient être condamnés par les armes. Olga Bancic fut décapitée le 10 mai 1944 à l’âge de 32 ans.
Alors que signifie véritablement cette double entrée au Panthéon ? Une tentative pour effacer la honte ? Une promesse que cela n’arrivera plus ? Un geste d’espoir pour tous les immigrés ? Une manière d’affirmer que les condamnés d’aujourd’hui peuvent devenir les héros de demain ? Une nécessité de ne pas les oublier, eux et les 22 autres ? Un message pour montrer que seul le chemin de la liberté est une promesse de gloire ? La reconnaissance d’un grand homme et d’une grande femme ?
J’ai beau écouté en boucle la chanson de Ferré, je ne trouve pas la réponse… L’histoire c’est comme l’écriture, tout est question de point de vue.

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