À force de raconter mes escapades, deux de mes collègues ont reconnu ma soif de nature, alors elles m’ont conseillé l’excursion vers le lac Urungach et c’est devenu un sujet de distraction idéal pour sortir des incontournables rapports de fin d’année à compléter. On m’a aimablement aidée à m’y inscrire vu que tout était en ouzbek et en russe.
Hier matin, je devais être au rendez-vous à 6 heures. Mon invincible ponctualité helvétique a été mise à rude épreuve, puisque j’ai failli louper le départ.
D’abord à cause d’un taxi qui n’arrive pas, peut-être parce que son chauffeur sort du lit et n’est pas bien réveillé si j’en juge le détour qu’il fait pour arriver à destination. Ensuite, comme il y a de nombreux groupes qui ont rendez-vous au même endroit, j’ai beau demandé à tous, personne ne s’appelle ou ne connaît Ilvina, celle avec qui j’ai rendez-vous. Malheureusement mon contact ne répond pas au téléphone. À deux minutes de la « Deadline » annoncée, (on vous attendra 15 minutes maximum), mon moral flanche. Un appel de la présumée Ilvina me sauve. J’ai dû la réveiller avec mes trois appels (parce que je comprendrai plus tard qu’il n’y a personne de ce nom-là dans le minibus). Elle m’aide à trouver mon chemin, enfin si je n’avais pas confondu l’image de la position GPS avec une icône de décoration, je n’aurais pas eu toutes ces difficultés. Ouf ! J’ai eu chaud ! Honteuse d’avoir fait attendre tout le groupe, je m’installe à l’avant, coincée entre le chauffeur et Olga. Par contre je suis ravie de la vue prometteuse de ce poste pour les 4 heures de route prévues. Je comprends plus tard que ma voisine est notre guide. Son anglais est plus que rudimentaire. Mon russe me permet de lui poser des questions, mais comme ses réponses sont très longues et ne contiennent que peu de mots que je comprends, je me réfugie vite dans la contemplation. Les chaos nous secouent pas mal quand on longe le lac Charvaq et réveillent le souvenir de l’excursion en octobre dernier. Étrange tout de même de reconnaître le paysage par ses bosses. Cela devient un véritable rallye digne du Paris-Dakar. À un moment donné, pris dans le trafic d’une file trop lente au milieu d’une montée à 12 %, notre groupe risque l’élimination, non cette fois cela ne passe pas. Le chauffeur nous demande de tous sortir, recule et se lance à toute allure, faisant tout donner au pauvre moteur de son minibus et mettant à rude épreuve les suspensions du véhicule. Il nous récupère au sommet, mais une étrange odeur annonce que les ennuis pourraient ne pas être finis. Eh oui, quelques centaines de mètres plus loin, même si la route est en pente, je me dis que les vitesses ne semblent plus fonctionner, car on n’entend plus que les gaz lorsque le chauffeur essaie d’en passer une. Et quand l’effet de la descente nous immobilise sur un long plat, rien n’y fait, impossible d’avancer, le moteur tourne mais les vitesses ne fonctionnent plus… Nous voici en panne au milieu de la nature. J’admire le calme autour de moi, personne n’a dit un mot plus haut que l’autre. Pourtant je ne comprends pas comment ils vont solutionner le problème. Je me dis « Mince ça va être comme en octobre, on ne va jamais arriver à destination ». Mes lecteurs les plus courageux se souviennent peut-être de ma frustration de ne pas être arrivée à la cascade…
Je comprends, ou plutôt je crois comprendre, qu’on est à 8 kilomètres de notre destination. Plutôt que de rester assis, pourquoi ne continue-t-on pas à pied ? Finalement, je tombe sur une passagère qui est prof d’anglais. En réalité, nous attendons un bus qui se trouve à 8 kilomètres. Patience, la nature est belle, des chevaux, des ânes, de la verdure, un ciel bleu et de la neige sur les sommets, on attend…
Une heure après la panne, un nouveau bus de la même compagnie finit par arriver avec un autre chauffeur. On abandonne lâchement le premier sur le bord de la piste avec son problème mécanique. Quand nous entrons enfin dans le parking où sont déjà stationnés des dizaines de minibus et de voitures, je vois l’ampleur de la renommée de ce lac. Tous ceux qui empruntent cette piste ont la même destination. Et comme certains ne s’estiment pas assez secoués par les chaos de ce long rallye, ils s’entassent dans des jeeps prêtent à franchir des rivières encore plus larges, des dénivelés impressionnants et d’autres obstacles. Franchement, je trouve cela très désagréable de marcher sur une piste sans cesse polluée par ces vieux moteurs et ces hordes de touristes trop flemmards pour parcourir deux kilomètres à pied. Par contre j’admire la propreté des lieux et me dis que cette conscience écologique finira par s’élargir à la suppression d’un tel chaos. Eh oui, un paysage de cette classe devrait se mériter par quelques gouttes de sueur non ?
Le plus impressionnant est de savoir que ce lac n’existe qu’au printemps, au moment de la fonte des neiges et des fortes pluies, raison pour laquelle tout le monde s’y précipite à la belle saison. Et les couleurs me rappellent l’afflux touristique du Val Verzasca et sa comparaison aux conséquences désastreuses avec les Maldives.
N’est-il pas vrai qu’il vaut mieux ne pas attendre l’instant parfait mais plutôt saisir l’instant et le rendre parfait ?

