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La tragédie de la mer d’Aral

Le mardi matin une voiture tout terrain nous embarque pour notre expédition vers la mer d’Aral. Le chauffeur ne parle que le russe ou l’ouzbek, mais une des deux Américaines maîtrise très bien les deux langues et ma collègue française le russe. Vers 14 heures, nous traversons une ancienne piste d’atterrissage de l’époque soviétique au milieu du désert. Pas loin de là un petit village poussiéreux, le chauffeur demande son chemin à plusieurs personnes jusqu’à ce qu’il arrête la voiture devant une maison. On nous y accueille et nous invite à nous installer sur les tapis autour d’une grande table bien garnie de spécialités ouzbèkes. Près de là il y a une exploitation d’un gisement de gaz où travaille le mari de notre cuisinière. 

Le paysage est tellement désertique que je demande souvent, par peur de la louper, si nous sommes déjà là où s’étendait la mer d’Aral autrefois. Non, nous sommes encore sur le plateau qui va nous y mener. 

Nous arrivons enfin au bout du plateau en fin d’après-midi. Ce que l’on découvre provoque en moi une étrange sensation. C’est comme quand on va à un enterrement et qu’on voudrait dire des mots importants pour traduire la grande émotion devant le deuil… mais les mots ne viennent pas et le silence s’impose. 

Depuis 1960, la mer d’Aral a perdu 75 % de sa surface, 14 mètres de profondeur et 90 % de son volume. En parler est une chose, mais le voir aide à comprendre l’ampleur d’une telle tragédie.

De là on voit ce qui reste de la mer. On y va même et le chauffeur nous demande si on veut se baigner. Comme il semble suggérer que les gens s’y baignent volontiers, j’en ai l’intention, mais à peine rentrée dans l’eau j’enfonce tellement dans la vase que cela me donne l’impression que je vais être prise dans des sables mouvants et disparaitre, donc je renonce. Le camp de yourtes qui nous héberge pour la nuit offre une vue privilégiée et le ciel étoilé est grandiose. 

Le lendemain, nous traversons la mer asséchée jusqu’à Moynac. Au musée, la tristesse revient devant les tableaux du petit musée de la ville, parce qu’ils montrent des scènes de la vie quotidienne des années 60/70. L’intensité est encore plus forte devant le court film en noir et blanc de l’époque où on pêchait encore du poisson par tonnes. Trop émue devant un tel gâchis, je laisse mes larmes couler et voudrais tant qu’on me dise ce qu’on pourrait faire.

Ma collègue m’a expliqué qu’au temps du soviétisme il y avait un projet de canal depuis un fleuve russe, mais depuis l’indépendance plus personne n’en parle. C’est en imaginant tous les pêcheurs et les femmes qui travaillaient à la conserverie de poissons que l’on réalise combien ce drame a déplacé de population et appauvri toute la région de la petite république du Karakalpakstan. 

Devant Moynac, un triste cimetière de bateaux met fin à l’expédition pour mes trois compagnes de voyage. Elles vont rester ici car il y a un festival de musique techno à l’endroit même où autrefois il y avait le port de la ville.

Puissent toute cette jeunesse ouzbèke et les voyageurs du monde entier qui assisteront aux concerts ou aux conférences faire résonner loin à la ronde le témoignage de ce qui se passe quand l’être humain agit contre la nature.

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