Il m’en a fallu du temps… mais j’y suis arrivée… Je récupère enfin l’accès à mon blog… Alors je reprends ci-dessous un texte écrit début juillet :
Allez, un peu d’autodérision m’aidera peut-être à avaler cette mauvaise aventure. Vous souvenez-vous de ma grande valise rouge ? Avez-vous du temps pour lire une longue épopée ?
Par où commencer ? Par vous dire combien je me réjouissais de ce voyage au Pérou.
À l’occasion de l’exposition au musée de Neuchâtel des œuvres de la fille de mon amie péruvienne, María José Murillo, une artiste qui fait revivre les anciennes cultures de tissage andines et quechua à travers le textile, j’ai eu l’occasion d’échanger avec elle et de parler de la civilisation des Incas qui m’a toujours fascinée. Cela a réveillé les souvenirs de mon voyage extraordinaire au Pérou en 1987/1988. En relisant mon journal de voyage de l’époque, mes yeux (et mon cœur aussi je crois) sont restés figés sur le passage que j’avais écrit le lundi 28 décembre 1987 à l’aéroport de Cuzco :
(…) J’en ai gros sur le cœur de quitter Cuzco. Les avions défilent devant mes yeux et moi j’ai l’impression de quitter quelque chose d’inachevé. J’aurais aimé rester un mois ici, pouvoir y vivre toutes les aventures possibles dans cette nature si généreuse. J’aimerais pouvoir dire « ! ¡Hasta mañana Cusco!», mais cela m’étonnerait, c’est si loin de mon petit pays (…)
Alors, j’ai essayé de résister un moment à l’appel du lointain. Cependant, ayant la sécurité de l’emploi et cinq semaines de vacances, j’ai fini par cliquer sur internet et organiser le voyage à Cuzco. J’avais trouvé un charmant logement dans le centre historique. Je me réjouissais de retrouver mon amie Patricia. Je devais même collaborer avec l’Alliance Française locale, par pure envie de rencontrer des amoureux de ma langue et échanger avec des locaux pour en découvrir un peu plus sur leur culture.
La question s’est posée, la valise rouge ne serait-elle pas trop voyante et encombrante dans ce pays où j’avais voyagé avec un simple sac à dos ? Puis j’ai repensé au gros sac (genre sac poubelle renforcé) que j’avais ramené pour tout ce que j’avais acheté dans les marchés colorés des Andes. Tant pis si elle attirait le regard, j’assumerais la grosse valise rouge. Il fallait qu’elle respire un peu l’air du lointain.
Ah si j’avais su… je n’aurais pas encombré mon esprit d’autant de réflexions !
Me voici donc au départ d’Einsiedeln direction l’aéroport de Zurich. Le premier problème était peut-être annonciateur du voyage cauchemardesque qui m’attendait. Arrivée à Wädenswil, il y régnait un air de fête, un festival de musique reggae à côté de la gare. C’est joli la gare de Wädenswil, puisqu’elle est située au bord du lac de Zurich. Comme j’avais un peu plus de 20 minutes avant le départ de ma correspondance, je me suis installée sur un banc, ai sorti mon livre, et ai fait comme si c’était le début des vacances au son de cette ambiance de fête.
À l’heure du départ vers Zurich, le train n’arrivait pas et huit minutes de retard étaient déjà annoncées sur l’écran. Quand le train est enfin arrivé avec 15 minutes de retard, j’ai tiré la grosse valise rouge et me suis installée à l’entrée du wagon. Sauf que tout d’un coup ils ont annoncé quelque chose que je n’ai pas compris et tout le monde s’est levé pour sortir du train. Je suis retournée docilement sur mon banc avec mes bagages.
Heureusement, comme d’habitude j’avais pris une bonne marge de temps pour ne pas trop être stressée par un éventuel retard. Plusieurs annonces ont suivi dans les haut-parleurs sur le quai, mais la musique du festival était tellement forte que je n’ai rien compris, si ce n’est le mot « Kollision ». Un autre train est arrivé, duquel sont aussi sortis tous les passagers. Une voyageuse m’a expliqué qu’il y avait eu une collision entre Wädenswil et Zurich. Ne voyant aucun contrôleur parmi la foule, j’ai commencé à stresser sérieusement. Le conducteur de la locomotive était à la fenêtre et répondait aux passagers les plus inquiets. Ainsi il m’a dit qu’il fallait changer d’itinéraire. Je suis alors repartie en sens inverse vers Pfäffikon – Rapperswil – Zurich gare centrale (dans des trains qui ressemblaient plus à des métros à l’heure de pointe, tant ils étaient bondés) pour finalement arriver à l’aéroport un peu moins d’une heure avant le départ de mon vol.
Heureusement que j’avais déjà fait le check-in en ligne. Ouf !
Deuxième mauvaise surprise, la compagnie Swiss avait changé le siège de ma réservation. Même si je voyage de nuit, j’aime être à la fenêtre, surtout pour un vol de 12 heures. Je me suis retrouvée coincée au centre, avec deux envahisseurs d’accoudoir de chaque côté. Plutôt que de nous offrir un petit en-cas, la compagnie ne propose désormais plus qu’un feuillet avec le menu des mets qui seront servis. Le menu « beef » avait l’air sympa. Étant au dernier rang de l’avion, j’étais aussi la dernière servie. On m’a répondu qu’il n’y avait plus de menu bœuf… je me suis contentée du poulet. Ne parlons pas du délicieux petit-déjeuner annoncé puisqu’ils ont prétendu ne pas pouvoir le servir à cause des turbulences (qui franchement n’avaient rien de très turbulent). Un verre d’eau, une tranche de pain et un chocolat ont donc été servis. Décidément, ai-je pensé, Swiss n’a plus rien à voir avec les promesses de qualité de feu-Swissair.
Rien à dire sur l’escale à Sao Paulo, si ce n’est que c’était la première fois que j’étais en terre brésilienne. Sur le deuxième vol aussi on avait changé ma place, toujours pas de hublot.
Arrivée à Lima, c’est là que tout a basculé. Étonnée qu’on me demande si j’avais un autre passeport au servie d’immigration, je n’ai pas vu arriver le problème. On m’a refusé l’entrée au Pérou parce que mon passeport arrive à échéance au mois de novembre. Persuadée que la validité devait être de trois mois après l’arrivée dans le pays, je me suis soudain rendu compte que je venais de faire la plus grosse boulette de ma longue carrière de voyageuse. Pour entrer dans la plupart des pays d’Amérique latine, le passeport doit être valable SIX mois après la date d’arrivée. Non ! – j’évite ici les gros mots – refusant la vulgarité… À ce moment-là, je comptais encore un peu sur ma bonne étoile, pensant que j’allais sûrement trouver une solution à ce méchant problème. Non, l’ambassade ne pouvait pas m’aider, de toute façon c’était dimanche (à ce jour, ils n’ont du reste toujours pas répondu à mon message). À partir de ce moment-là, j’ai été prise en charge par le service d’immigration et ma vie a commencé à ressembler au scénario du film « Terminal » avec Tom Hanks, si ce n’est que je n’ai plus eu de liberté jusqu’à mon retour à Zurich. Accompagnée même pour aller aux toilettes, enfermée (avec d’autres malheureux refoulés) pendant 12 heures dans un local à l’aéroport de Lima, j’ai pu ressentir ce que doivent ressentir les criminels (innocents ou coupables), à savoir la privation de liberté. On n’a été ni bienveillant ni malveillant à mon égard, mais c’était long, surtout parce que cela faisait deux jours que j’étais en voyage et vous savez comme moi combien il est difficile de dormir assis sur un siège. Deux médecins sont passés pour contrôler mon état de santé. J’espérais encore avoir le droit à une nuit dans un lit avant de repartir par la même route que celle empruntée à l’aller, mais mon cœur et ma pression n’indiquaient aucun danger…
Alors on m’a escortée jusqu’au vol repartant vers Sao Paulo le dimanche soir à 23h.15, confiant mon passeport à l’équipage. À l’arrivée au Brésil, d’autres personnes du service d’immigration m’attendaient à la sortie de l’avion pour prendre en charge mon passeport et me surveiller jusqu’à l’embarquement du vol retour vers la Suisse (soit 13 heures d’attente). Au vu de la surveillance, j’ai pu découvrir que j’avais toujours l’air aussi dangereuse pour le pays – c’est le protocole me dirait-on – Côté rapport humain, c’était encore plus compliqué qu’au Pérou, puisqu’aucun des employés du service d’immigration ne parlaient anglais ou espagnol. Les seuls mots qui me resteront, en dehors de « obrigado » et « obrigada » que je connaissais déjà, seront «agora» (=maintenant) – «todo bom» (= tout va bien) – «banheiro» (=toilettes).
L’unique avantage de cette vilaine aventure, c’est que j’ai eu un accès prioritaire dans les avions. Ainsi, je suis montée la première (même avant les business et les 1ères classes) dans l’avion à destination de Zurich, pour donner le temps aux fonctionnaires m’escortant de transmettre mon passeport et les instructions sur ma dangerosité au personnel de bord. Le service et la place étaient meilleurs qu’au vol aller (mais toujours pas de hublot). Par contre, j’ai craint un nouveau problème à cette longue odyssée quand l’avion est remonté alors que nous étions en phase d’atterrissage à Zurich. Que s’est-il passé ? Si j’ai bien compris, au dernier moment la piste était occupée. Un petit tour et finalement vingt minutes plus tard on a pu se coller sur la terre helvétique.
Arrivée à Zurich, j’ai été accueillie par deux policiers à la sortie de l’avion. Il a fallu expliquer à nouveau pourquoi j’étais hors-la-loi. Quand ils m’ont dit qu’ils allaient m’emmener en voiture, je n’ai pas pu retenir de leur répondre en allemand :
– Ah non ! Cela ne va jamais finir cette histoire.
Ils m’ont demandé si je préférais marcher. Bien sûr… J’avais surtout envie d’aller aux toilettes sans être à nouveau escortée. Miracle, ils m’ont rendu mon passeport… et ma liberté.
Au service d’immigration suisse, je me croyais sortie du cauchemar. Je scanne mon passeport pour passer le contrôle automatique. La porte du sas s’ouvre. La machine me prend en photo. La deuxième porte ne s’ouvre pas. J’essaie de ne pas m’inquiéter. Quand finalement je suis libérée, un fonctionnaire m’invite à me présenter au guichet. Il prend mon passeport, l’examine, va contrôler son ordinateur. Une femme en civil vient parler avec lui, puis s’approche de moi. À nouveau, je dois lui raconter mon histoire. Elle m’explique que si elle est là c’est parce qu’elle a vu que j’étais partie samedi pour aller jusqu’au Pérou et revenir quatre jours plus tard. Finalement, je comprends, quand elle m’explique qu’elle travaille pour la brigade des stupéfiants, qu’on me soupçonne d’être allée au Pérou pour en ramener de la drogue. Bien que j’aie compris après en avoir beaucoup rencontré ces derniers jours que les employés des services d’immigration n’ont pas beaucoup le sens de l’humour, je lui réponds :
– La seule drogue qu’il y a dans ma valise c’est le chocolat pour mes amis péruviens.
La fonctionnaire me libère enfin… et les soupçons semblent écartés vu que la valise rouge n’a franchi aucune frontière.
Jusqu’à ce moment-là je pensais que la compagnie Swiss portait une part de responsabilité dans cette mésaventure, pour m’avoir laissé embarquer sur un vol alors que mon passeport n’était pas conforme à la loi du pays destinataire. Avec le peu d’énergie qu’il me reste, je cherche le guichet Swiss capable de m’aider à récupérer une compensation financière. Sans la moindre trace de compassion, on me répond que tout est à ma charge car j’ai fait le check-in en ligne, donc la compagnie n’était pas tenue de vérifier la validité de mon passeport.
En conclusion, non, je n’ai aucune raison pour recommander la compagnie Swiss, et soyez prudents si vous faites l’enregistrement en ligne, vous pouvez gagner du temps mais pas de l’argent.
Aujourd’hui, je ne sais pas si la valise rouge aura d’autres aventures à raconter, mais je l’ai vite défaite et rangée à la cave, avec l’avantage qu’il n’y avait pas de lessive à faire.
Bien sûr, tout ceci n’est que matériel, avec une grosse fatigue qui aura passé d’ici quelques jours j’espère. Il y a bien pire que cela dans la vie. Cependant, même si je dois en assumer toute la responsabilité, pour passer à la suite des vacances j’avais besoin de partager cette odyssée. Probablement que je ne retournerai jamais au Pérou, mais j’espère bien que la passion des voyages ne se laissera pas éteindre par cette stupide boulette.
Bonnes vacances à ceux qui s’y lancent !

