Ce pays est fait de contrastes temporels et culturels. S’en est parfois étourdissant car on ne sait plus si on est dans un pays moderne, tant il cherche à s’ouvrir à la mondialisation, ou à se réancrer dans son lointain passé.
Cette statue d’Amir Temur (1336-1405) est au milieu de la place centrale de la capitale. Il est devenu héros national et symbole du jeune Ouzbékistan au moment de l’indépendance, suite au démantèlement de l’Union soviétique. Ce grand prince considéré comme le père du pays est souvent représenté comme le protecteur des arts et des lettres, de l’éducation et de l’agriculture. Pourtant, l’histoire rappelle peu sa personnalité d’homme sanguinaire, ses conquêtes ayant occasionnés le massacre de milliers de victimes et il était réputé pour ses pyramides de crânes ennemis.
Et si l’on creuse un peu l’histoire, on voit défiler sur cette place centrale de la ville construite en 1870 (qui est en réalité un grand parc circulaire entouré d’un immense rond-point), se sont succédées de nombreuses statues :
1913 Constantin von Kauffman – Symbole du pouvoir tsariste.
1917 Monument des travailleurs libres – Symbole du pouvoir des bolcheviks.
1927 Vladimir Lénine – 10ème anniversaire de la révolution d’octobre.
1947 Joseph Staline
1968 Karl Marx
1993 Amir Temur.
Loin de moi l’idée de me transformer en prof d’histoire ou de vous ennuyer, mais je me dis que peut-être un jour ces informations me seront utiles pour quelque récit… on verra. Ou alors c’est une façon de mieux comprendre ce pays en regardant d’où viennent ses héros.
Lundi matin – l’électricité s’en est de nouveau allée avec sa copine « eau ». Va savoir où elles s’en vont à chaque fois. C’est fatigant à la longue. Même si j’adore marcher, je n’aime pas beaucoup l’idée de devoir descendre les douze étages à pied, surtout que ce sont des doubles étages vu que nos appartements sont sur deux étages.
C’est ce choc de la modernité avec des problèmes d’un autre temps qui me rappelle que je vis dans un pays en voie de développement. Et si j’en juge par le grand nombre d’immeubles en construction dans le quartier où je vis, cela me donne l’impression que cette explosion immobilière cherche à rattraper un retard, calculé sur je ne sais pas quels critères.
Alors il n’y a pas d’autre choix : attendre… ne pas oublier de remplir les réserves d’eau dès que l’or bleu reviendra… et espérer qu’on nous ramène l’électricité avant que mes batteries soient à plat.
Voici pour moi le plus charmant des monuments de Boukhara, un peu à l’écart, perdu dans les ruelles : Tchor Minor (= quatre minarets). Ces quatre tours marquaient l’entrée d’une madrasa, aujourd’hui disparue, construite en 1807 par un riche marchand turkmène.
Certains disent que les éléments de décoration des tours reflètent les quatre religions connues des habitants de l’Asie centrale. On y trouve des éléments rappelant une croix, un motif de poisson chrétien, une roue de prière bouddhiste, ainsi que des motifs zoroastriens et islamiques. Je ne sais pas si c’est vrai, mais j’aime bien l’idée de cette représentation qui invite à la tolérance et à l’acceptation des croyances des autres, en regardant tous le même ciel, surtout en cette période.
En ce lundi, je voudrais rendre hommage à toutes ces femmes qui rendent ce pays si propre. Elles travaillent très souvent en groupe et quand je vois ces armées de balais, mon esprit rêveur imagine une nouvelle adaptation de Mary Poppins.
Comme les ramoneurs dansaient sur les toits, telles de gentilles sorcières, je les imagine s’envolant sur leur balai, poursuivant les feuilles dans leur danse automnale.
J’aime bien flâner dans une ville inconnue, surtout quand elle est généreuse dans son offre de bancs publics. J’avance, je m’assieds, je regarde, j’écris, je lis… Souvent cette pause solitaire intrigue, on me tient compagnie, on me questionne, on échange un moment en cherchant une langue commune. À Boukhara, beaucoup parlent le tadjik, (une variante du persan) mais on y entend toutes les langues et c’est probablement ce qui relie le plus la ville à son passé. À part « merci » (rahmat), j’avoue ne pas avoir fait beaucoup de progrès en ouzbek (qui ressemble parait-il au turc) mais je m’améliore chaque jour en russe. C’est impressionnant la capacité qu’ont les commerçants ou les artisans à repérer la langue parlée par chaque visiteur. Et vu qu’ils sont aussi capables de converser (pour ne pas louper une affaire) en français, j’ai fait part de mon étonnement devant mes collègues (eh oui, j’ai déjà repris le chemin de l’école jeudi), car peu de nos étudiants sont motivés pour apprendre le français. La plupart des jeunes préféreraient apprendre l’anglais car pour eux c’est la langue du futur pour s’ouvrir au monde sur le plan des études, du commerce, du business ou des relations internationales. Probablement que Tashkent manque de véritable stimulation pour apprendre le français, étant donné que la ville n’est pas fréquentée par autant de touristes qu’à Samarcande ou Boukhara.
Si j’ai eu le souffle coupé à la découverte de Samarcande, j’ai été charmée par Boukhara. Autrefois surnommée « La perle de l’Islam », cette ville abrite toutes les splendeurs de l’Orient et ce sont toujours ces immenses coupoles turquoise qui me fascinent le plus.
Des tapis, des couteaux, des bijoux, des habits, des chapeaux, de la céramique, des souvenirs, etc., le choix est vaste car rares sont les monuments où on ne trouve pas d’artisans. Si les caravanes de touristes n’arrivent plus à dos de chameau, c’est toujours un haut-lieu de commerce. J’ai aimé les couleurs et le mouvement des étoffes soufflé par le vent venu du désert.
Un jour que j’essayais de comprendre les ingrédients pour réussir une aventure de ma vie de vagabonde, je me suis amusée à faire la liste :
Des contacts humains
Des paysages
Une culture
Des traditions
Une langue
La gastronomie
Des vacances
Un sentiment de liberté
Des amis
Le climat
Des souvenirs
Voilà pourquoi, en vertu des points 7 et 8, je ferai fi du règlement. Aujourd’hui je m’échapperai quelques jours pour aller voir un autre ailleurs, tant pis si on déduit trois jours de mon prochain salaire. J’ai trop besoin de traverser des ponts pour déguster chaque instant de la vie…
Dimanche matin, je me réveille avec un lourd mal de tête. Pourquoi ? Il fait trop chaud là où je dors ? La pleine lune a-t-elle distillé des rêves compliqués dont je ne me souviens pas ?
Et si c’était un simple besoin de dire ?
Après une autre journée chaotique vendredi, j’étais contente de m’échapper vers la montagne samedi pour une excursion. La promenade était jolie, au creux d’une vallée aux couleurs automnales où serpentait une rivière. Pourtant l’excursion a réveillé en moi le sentiment de frustration d’une lointaine excursion du côté du Camoghé, puisque nous n’avions jamais atteint le sommet. Certes l’objectif était de sortir de la bruyante capitale pour se mettre l’esprit au vert, avec l’idée de marcher jusqu’à une cascade au fond de la vallée. Est-ce parce que nous nous sommes trop arrêtés sur le sentier pour des « clic-clac Kodak », mais nous avons dû faire demi-tour avant d’arriver à destination. Comme j’aime aller voir tout là- haut, j’ai eu la sensation d’une mission inaccomplie. Pourtant c’est au retour, quand ma compagne de voyage a lu la communication de nos chefs qu’a probablement pris racine ce douloureux mal de tête.
Dans le message de nos chefs, je comprends qu’il est bien vrai que les vacances scolaires sont seulement pour les enfants, les professeurs devant venir travailler à l’école pendant la semaine où ils sont en congé. Mais quel est donc ce pays où l’on croit que ce ne sont que les enfants qui ont besoin de vacances ?
Personne ne me demande mon avis, mais vous me connaissez, je suis comme les adolescents, incapable de me taire. Si je trouve très positif et ambitieux d’avoir fait venir des dizaines d’enseignants dans ce pays pour tenter de changer le système éducatif, je ne comprends pas qu’ils ne voient pas mieux où sont les priorités. Certes les enseignants de langues ont des méthodes qui ressemblent plus à celles que j’ai subies alors que j’étais encore très jeune (et vous savez très bien que je suis d’un autre siècle), mais les enfants sont les mêmes que ceux que j’ai côtoyés un peu partout parce qu’ils vivent dans un monde où on est sans arrêt connecté à la planète entière. Ainsi, c’est aussi fatigant de gérer une classe de 20 à 30 élèves que dans d’autres pays, sans compter qu’ici les cours vont du lundi au samedi. Il est vrai que nous autres les profs étrangers, on nous octroie le droit de prendre des jours de congé pendant les vacances des élèves, mais ils seront déduits de notre salaire. Si tout cela soulève une telle pression dans ma tête, ce n’est pas vraiment personnel, je sais qu’un jour je quitterai ce pays, mais cela suscite un grand sentiment d’injustice, il faut savoir reconnaître le noble métier qu’est celui d’enseignant…
On parle beaucoup des enseignants ces temps du côté de la France et j’ai été très émue l’autre jour en regardant l’émission la « Grand Librairie » en replay. Si vous l’avez vue, vous comprendrez mon émotion pour cet émouvant « Hommage à l’école » pour ne pas oublier Dominique Bernard et Samuel Paty.
Alors je reprends la liste qui a conclu la « Grande Librairie » ; chacun devait dire quel était pour lui le droit du professeur :
Le droit de les amener ailleurs
Le droit de raconter sa vie en cours (ce sont les meilleures digressions)
Le droit à l’humour (outil de l’intelligence)
Le droit à l’indocilité
Le droit d’être bien payé
Le droit à l’autorité (structurant)
Le droit d’aider les futurs citoyens à se construire
Le droit de faire penser les élèves contre eux-mêmes
Le droit de les faire rêver
Le droit de réfléchir et se s’observer
Le droit de montrer ses émotions
Le droit de croire et d’espérer en l’ECOLE
J’ajoute le mien au 13ème rang… Peu importe que ça porte malheur ou bonheur, j’ai juste besoin de le dire :
Une journée grisaille s’annonce ce matin… Alors éclairons-la avec quelque lumière automnale captée le week-end dernier au hasard d’une promenade dans la capitale.
Eh oui, j’ai retrouvé une latitude où les saisons semblent se distinguer les unes des autres…