Au fait, je ne vous ai pas raconté mon premier août. Maintenant que je fais partie de la catégorie des Suisses de l’étranger, j’étais invitée à l’ambassade de Suisse. Comme je l’imaginais, à peine mis un pied dans ce monde qui n’est pas le mien, je me dis « Quelle stupide idée de m’imposer de tel défi à mon âge. » Monsieur Flückiger, le secrétaire de l’ambassade, qui attend les convives sur un long tapis rouge, me remercie d’être venue, il se rappelle même de mon nom, preuve en est que les nouveaux résidents ne sont pas nombreux. Puis il ajoute :
- Vous êtes la première.
Au secours, me dis-je, trop tard pour rebrousser chemin, mais comment vais-je peupler ma solitude ? Je ne peux tout de même pas m’asseoir sur une de ces chaises drapées de blanc et sortir mon Moleskine afin de me réfugier dans l’écriture. Si je suis la première, qui sont alors tous ces gens ? Des Népalais venus voir l’exposition de tableaux située en retrait de la salle ? Je me perds parmi les toiles et mime un intérêt passionné, prends le prospectus, mais sans réussir à retenir la moindre ligne de ce que je lis, tant j’ai envie de m’échapper. Comme il n’y a pas beaucoup de tableaux (très colorés il me semble, mais je ne les vois pas vraiment), et qu’en plus je ne suis pas sûre qu’il ne s’agisse pas d’une autre invitation à laquelle je ne suis pas conviée (étant donné qu’il n’y a aucune personne de mon ethnie), je me dirige vers les tables et me donne des airs de quelqu’un qui admire la propriété. Un serveur passe à côté de moi avec un plateau chargé de vin et de bière. Il me demande si je veux boire quelque chose. Cela ne me ressemble pas, mais j’accepte volontiers et saisis aussitôt une chope de bière par son anse, pensant ainsi étancher ma soif de déguerpir de cet endroit trop feutré pour mes sandales. Il fait lourd et humide, je bois de larges gorgées. Une femme népalaise s’approche de moi et me dit en anglais :
- Bonsoir, excusez-moi, je vois que vous êtes seule et moi aussi, cela vous dérange si je me joins à vous ?
Ouf, la soirée peut commencer… Je me relaxe (un peu seulement). La dame m’explique qu’elle a créé, avec ses deux sœurs, une société qui propose des treks pour les femmes, guidés par des femmes. Son nom est Lucky… enfin un nom que je peux retenir… une vraie chance. Une voix féminine annonce au micro que nous pouvons aller nous servir d’un snack avant la partie officielle. J’affirme ma gaucherie en me servant au buffet prévu pour le repas, alors que la file pour l’apéritif est de l’autre côté. Le serveur me dit, avec un magnifique sourire, que ce n’est pas grave, que je peux garder le petit pain (dans lequel est planté un minuscule drapeau suisse). Sans craindre d’empirer l’effet produit par ma maladresse, je repose l’assiette, les couverts et le petit pain, à l’endroit où je les ai pris… et me dirige vers le snack protocolaire. Une fois l’assiette chargée de je ne sais quoi (ce sont des spécialités népalaises), je me retrouve installée autour d’une grande table ronde avec des femmes népalaises, toutes vêtues de saris aux couleurs éclatantes. Ma curiosité me pousse à leur demander qui elles sont et leur lien avec la Suisse.
Sur l’écran au coin de la salle de réception apparaît le président de la confédération, Ueli Maurer. Il a enregistré un discours destiné aux Suisses de l’étranger… en allemand… probablement parce que son anglais a déjà trop fait polémique. Une voix off traduit en anglais. Puis c’est Madame l’ambassadrice qui éclaire ma lanterne en expliquant à l’assemblée qu’elle a choisi d’inviter à la fête nationale des femmes népalaises qui se distinguent dans leur domaine d’activité. Les femmes qui m’entourent m’ont déjà confirmé leur appartenance à cette catégorie. Notre ambassadrice insiste sur la place des femmes dans la société et donne toute sorte de statistiques pour expliquer le chemin parcouru et celui qui reste à faire pour obtenir l’égalité, que ce soit en Suisse ou au Népal (personnellement le chemin me semble plus long dans ce pays). On invite tout le monde à se lever pour l’hymne national suisse, que personne ne se risque à chanter, suivi de l’hymne népalais qui fait bouger plus de lèvres.
La société de Luky : 3 Sisters Adventure Trek