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Jour 33

Je pourrais vous raconter cette histoire sur un ton de légèreté, en l’intitulant « Safari à Katmandou », mais comme elle ne me fait pas rire du tout, je vais vous la livrer comme ma dernière histoire avant de me retirer du monde virtuel pendant quelque temps.

L’autre jour, je m’accordais une petite sieste après le repas. À peine le temps de fermer un œil, un bruit suspect venant de l’extérieur me fait regarder par la fenêtre. Toute une famille de singes défilait sur le rebord de mes fenêtres. Ils m’ont regardée au passage, sans même craindre que je ne les chasse, avant de continuer leur périple. Eh oui, les singes ont le pouvoir sur les toits et dans les temples de la ville… Heureusement, je n’ouvre jamais les fenêtres de ce côté-là. L’esprit soudain un peu moins fatigué, je ressaie tout de même de poser ma tête sur l’oreiller. Moins d’une minute plus tard, grand branle-bas de combat, toute la famille revient, le plus costaud transportant une grosse boîte en plastique qu’il renverse devant ma fenêtre. Alors, petits et grands se mettent à picorer des cacahuètes sur la corniche. Le voisin, à qui il les a chapardées, crie depuis sa terrasse, tape sur les montants en fer, et réussit à les mettre en fuite. Depuis, ils ne sont pas revenus, mais ma fenêtre est devenue une excellente tour d’observation (si j’avais le cœur à faire du bird-watching), car les oiseaux ont encore des réserves pour quelques jours.

Si je vous ai dit que l’histoire ne me faisait pas rire, c’est parce que soudain j’ai eu cette sensation que ressentent probablement les animaux qu’on enferme dans une cage.

Je sens que cela explose en moi, une folle envie de liberté, une envie d’aimer la vie, une envie de marcher pieds nus dans l’herbe, une envie de sentir le vent dans les feuilles, une envie d’appuyer mon front contre un arbre, une envie de boire au goulot de la fontaine de mon enfance.

Hier soir, j’ai tenté d’exprimer cette colère en relevant l’absurdité de la situation, puisque depuis trente-trois jours on nous impose de rester chez nous alors qu’officiellement on ne recense aucune victime de ce foutu virus dans le pays. Et comme mon voisin a répondu qu’il n’y avait pas eu de victimes parce qu’on avait imposé le confinement à temps, alors là j’ai eu envie d’exploser et me suis dit qu’on était loin d’en avoir fini avec tout ce cirque. Oui, j’en ai marre de ces discussions au conditionnel…

J’ai repris les cours en ligne avec mes élèves et cela m’a fait réaliser ce que l’on est en train d’imposer à toute cette jeunesse. J’ai encore dans l’esprit assez de grain de folie de mon adolescence et de ma jeunesse pour savoir qu’à cette période de la vie une semaine n’a pas la même valeur que quand on a passé la cinquantaine. On est en train de leur voler des moments si précieux, sous prétexte de sauver des vies. Alors qu’ils ne sont pas en danger, on les responsabilise de la mort potentiel de leurs aînés s’ils ne respectent pas les consignes. N’est-ce pas un peu lourd ? Je refuse désormais de comparer tout cela à une guerre. Non, nous ne sommes pas en guerre, nous sommes dans la vie, et la vie est mortelle. Je veux profiter de chaque instant de la vie, parce que la vie m’a fait comprendre que la mort nous rattrape quand c’est elle qui le décide. Toutes ces palabres me fatiguent, je veux vivre et regarder vivre. Je déteste ce monde immobile qui a peur de ce qui n’est pas là. Si la mort doit arriver, elle arrivera. On peut être en deuil quand quelqu’un meurt, mais on ne doit pas être en deuil de la vie. Tout cela sera bientôt fini nous dit-on. Je n’y crois pas… on ne va plus nous laisser vivre sans protection. Ne plus se serrer la main, ne plus s’embrasser, ne plus se toucher, ne plus se réunir, ne plus se réjouir, ne plus se divertir, ne plus sortir, ne plus se dire adieu… Tout cela avec le prétexte que c’est pour sauver des vies. Pourtant je sais bien que c’est tout le contraire, car encore une fois, ce sont les plus faibles qui vont souffrir des conséquences de cet arrêt sur image et on dira bientôt de ces misérables qu’ils sont des victimes collatérales de cette pandémie. Au Népal, si le virus n’a pas tué, la pauvreté, elle, le fera.

Pardonnez-moi ce coup de gueule, mais cette prison dans laquelle on m’enferme me rend plus misanthrope que je ne voudrais l’être. J’ignore pourquoi nous sommes sur cette planète et je sais que je me condamne d’avance si je cherche à le comprendre, mais la planète doit continuer de tourner.

La sagesse des années m’empêche de me révolter, donc je vais continuer d’obéir et rester chez moi, mais je vais me taire… ce sera mon moyen de faire la grève. Peut-être que vous lirez la suite de l’histoire un jour, mais pour l’instant je vais prendre des vacances et quitter ce monde virtuel en espérant pouvoir accompagner mes élèves au mieux pour subir ce qu’on leur impose. Je reviendrai le jour où on m’autorisera à retourner à l’école avec mon Scooty.

J’écoute en boucle la musique du film la liste de Schindler par Renaud Capuçon et continue de naviguer sur les eaux tumultueuses de cette tempête passagère en espérant qu’une île surgira bientôt dans le paysage.

qrf

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