Si le reste du monde a oublié ce qu’était le bagne de Poulo Condor, on n’oublie pas sur l’île de Con Son. Le 23 janvier est une date importante :
Elle s’appelait Vō Thi Sáu. Née en 1933, c’était une combattante de la résistance pendant l’occupation française. Dès l’enfance, elle s’engagea en politique. À l’âge de quatorze ans, elle tua un capitaine français lors d’une attaque à la grenade. En février 1950, lors d’une seconde tentative d’assassinat, on la captura et on la condamna à mort à la prison de Chi Haa à Saigon. N’ayant pas l’âge légal pour l’exécution, elle fut envoyée au bagne de Poulo Condor, où elle mourut le 23 janvier 1952 devant un peloton d’exécution.
Cette volonté de chasser les envahisseurs à un si jeune âge est impressionnante. J’avoue même que j’y pense souvent quand je suis devant une classe d’adolescents un peu trop apathiques.
Comment ne pas être chamboulée par de tel destin ? Quelle force habitait cette jeune fille de 14 ans pour décider de lutter activement pour son pays ?
J’avais déjà visité le cimetière de Hang Duong deux jours plus tôt, mais j’y suis retournée le soir du 23 janvier pour voir comment on commémorait cette héroïne et martyre nationale. J’ai été très impressionnée de voir une telle ferveur autour de la tombe de la jeune fille 71 ans après sa mort. Des gens arrivaient par dizaines chargés d’offrandes composées principalement de fleurs blanches et d’objets dont une jeune fille peut avoir envie, comme des miroirs, des peignes, du rouge à lèvres, des fruits ou autre nourriture. Ils priaient et allumaient des bâtons d’encens.
Tout était organisé. Un homme réceptionnait les plateaux d’offrandes et les arrangeait au-dessus et à côté de la tombe, créant ainsi une pyramide de fleurs. Le peuple se souvenait et n’oubliait pas le prix que certains avaient payé pour libérer le pays.
Le culte des ancêtres donne le temps aux blessures de cicatriser et permet aux Vietnamiens d’effectuer un long travail de deuil.
Ce lieu n’est pas touristique, c’est un lieu du souvenir, je n’y ai croisé aucun visage occidental, je n’ai pas photographié leur intimité.
Sur les vingt milles prisonniers vietnamiens morts à Con Son, près de deux milles y reposent pour l’éternité, mais seulement 700 tombes portent un nom.
Alors, en souvenir de tous ces anonymes, je suis retournée au milieu des fleurs près de la mer où l’on continuait de fêter le Têt, puisque c’était le 2ème jour de l’année du chat…

