Mes orteils ont été surpris vendredi dans mes habituelles sandalettes. Il paraît même qu’il a neigé à la montagne… alors, allons voir sur les sommets !
C’est grâce à la perspicacité de ma sympathique voisine qui a prospecté sur internet et trouvé un groupe de randonneurs. Alors, départ samedi à sept heures avec un minibus, en compagnie de douze inconnus, en direction des montagnes qui font la frontière avec le Tadjikistan.
C’est l’occasion d’évaluer mes progrès en russe, sinon on a parlé anglais avec ceux qui le savaient, et même italien avec une jeune Russe. Peu avant de commencer l’ascension, on a traversé des montagnes qui m’ont rappelé les paysages qu’on décrivait comme des montagnes en carton dans les westerns de mon enfance.
Je juge de l’impact qu’a eu un lieu visité par rapport à mon envie de continuer à m’y promener avec quelques commentaires.
Samarcande a tout pour me séduire car le turquoise est une couleur que j’adore. La population de l`Asie centrale considérait la forme circulaire, comme un modèle du Ciel, et le carré représentait pour eux la Terre. L`alliance harmonieuse de la Terre et du Ciel a donné naissance à l`Univers. A Samarcande on plonge vraiment dans un univers de coupoles bleu turquoise.
On raconte que Tamerlan désirait toujours avoir le ciel bleu et les étoiles d`or au-dessus de la ville de Samarkand, la capitale de son empire. Ainsi il a rassemblé les meilleurs artisans de tous les pays conquis et ils se sont mis à imiter le ciel par le bleu des coupoles. Pour refléter la monumentalité et la magnificence de leur souverain, on prétend que Tamerlan disait :
Que celui qui doute de notre puissance et de notre munificence regarde nos constructions.
Ce matin, je me suis réveillée juste après 4 heures, sans vraiment savoir pourquoi j’avais cette impression que ma nuit était finie, comme si quelque chose de lourd autour de moi m’empêchait de dormir. Quand je suis arrivée à l’école, les expressions graves de mes collègues m’ont fait comprendre un drame.
Un des étudiants de l’école, un jeune d’à peine 18 ans, venait d’être arraché à la vie. Consternation dans les couloirs… Il y a plus de 1600 élèves là où j’enseigne, je ne le connaissais pas, si ce n’est sa passion pour le volleyball dont on m’a parlé. Pourtant le plus dur aujourd’hui était de devoir continuer à enseigner sans même savoir si mon regard avait croisé le sien dans les escaliers ou dans la cour.
Ce soir, mes pensées sont tournées vers la douleur d’une famille, de ses camarades et amis. J’ai écrit à ma collègue pour avoir un prénom, j’avais besoin de le nommer.
Je ne sais pas où l’on va si l’on va quelque part quand le voyage se termine, mais je sais combien l’adieu fait mal et combien c’est difficile de trouver les mots dans ces moments-là. Alors j’ai allumé une bougie et je regarde la flamme…
Toujours sur la place du Registan, je me laisse envahir par l’atmosphère que dégage la madrasa ( = édifice musulman destiné aux sciences) Oulough Begh. D’abord un parce que c’est la plus ancienne, elle a été construite entre 1417 et 1420. Ensuite, elle est originale par le défaut de son minaret nord, haut de 33 mètres, qui est légèrement incliné. À sa construction, elle était la plus grande université d’Asie centrale. C’est là qu’une centaine d’élèves étudiaient le Coran, l’astronomie, les mathématiques, la philosophie et la littérature.
À l’Est de la place, la madrasa Chi Dor me fascine rien qu’à l’idée que ma compatriote Ella Maillard, infatigable voyageuse, eut la chance d’être logée dans une des cellules accueillants les visiteurs de passage. Par contre, cet endroit fut moins hospitalier plus tard, puisqu’il servit de lieu de détention pour les musulmans qui s’opposaient au pouvoir soviétique.
La madrasa Tilla Kari ( = couverte d’or) est la moins haute mais sa façade est la plus longue. C’est le monument le plus jeune de la place et c’est le seul à avoir des cellules donnant vers l’extérieur.
Alors comme la nuit a enveloppé le paysage, à peine réveillée le lendemain matin, avant même la première gorgée de café, je retourne voir si je n’ai pas rêvé la veille…
Oui, c’est bien ici que transitaient les caravanes sur la légendaire Route de la Soie. Celui que nous connaissons sous le nom de Tamerlan est appelé ici Timur. Le jeune architecte turc (qui connaît bien cette culture, puisque c’est de là que vient la sienne) m’explique que Tamerlan est la traduction de Timur le boiteux. En souriant, je lui dis que c’est bien là la preuve que notre civilisation n’a voulu retenir que sa faiblesse, alors qu’ici c’est sa puissance qui s’impose par les nombreux monuments qui nous plongent dans une autre époque. Samarcande était la prestigieuse capitale d’un immense empire qui s’étendait jusqu’à la mer Noire et au Pendjab, en Inde. Au XIVème siècle, il réunissait les savants (architectes, peintres, astronomes, poètes, …) les plus connus de son époque pour construire l’une des plus belles villes du monde musulman.
Maintenant que je sais comment me déplacer en taxi, en bus et en métro à Tachkent, il était temps de me lancer un défi en train. Me voilà donc partie en direction de Samarcande pour quatre heures de voyage. Je monte dans le wagon 16, et avance le long du couloir pour trouver la place 21. Comme ce sont des lits superposés, je traverse jusqu’au bout, parce que j’ai réservé une place assise. Quand je vois que je suis au début du wagon 17, je rebrousse chemin jusqu’au numéro 21. C’est au moment où le contrôleur me tend un paquet avec les draps de lit, que je comprends que ce que je croyais être une place assise est en réalité une couchette, même en plein jour. Je ne sais pas où vont mes voisins, mais chacun fait son lit. Quand l’envie d’une petite sieste me vient, je les imite.
Avez-vous déjà entendu parlé de Samarcande ? Moi, j’ai toujours la naïveté du voyageur qui aime se laisser surprendre, donc je ne lis les guides touristiques que d’une manière superficielle. Alors partons à la découverte !
J’ai la chance de loger près du centre historique de cette cité légendaire sur la route de la soie. Une hôtesse m’accueille avec un sourire où se dessine la bienveillance. Elle m’invite à prendre le thé autour de la grande table où se retrouve tous les voyageurs de passage. J’aime quand on se salue avec un « Where are you from ? », car en un tour de table on a fait le tour du monde. Mon voisin de droite vient du Maroc, en face, ils viennent d’Israël, il manque encore les Belges, les Turcs, la Japonaise et tous ceux que j’ai croisés sans savoir quelle était leur route jusqu’à ce lieu prestigieux.
Il fait déjà nuit quand j’accompagne le jeune couple de Tel Aviv jusqu’à la place du Régistan où m’attend un choc émotionnel.
J’en ai littéralement le souffle coupé quand je vois ces trois madrasas gigantesques illuminées. Et c’est encore plus prodigieux à l’instant où commence le spectacle son et lumière.
Le 1er octobre est un jour férié en Ouzbékistan, c’est le jour de la fête des enseignants. Pas de chance cela tombe sur un dimanche, leur seul jour de congé. Mais vu le respect que l’on porte à cette noble profession, le lundi 2 octobre a été déclaré jour de congé. Youpi ! Je vais en profiter pour aller me promener en train.
Hier, je devais pratiquer les phrases hypothétiques, sujet toujours ardu vu que l’on utilise un temps du passé pour parler de quelque chose qui ne se réalisera probablement jamais… du genre, si j’étais présidente…, si j’étais riche… J’ai bien aimé la réponse d’une jeune adolescente :
Si j’étais riche, j’achèterais des crayons de couleur, des cahiers et je dessinerais.
Bien sûr, il y avait un passionné de football qui aurait acheté un stade de foot, un autre qui aurait voyagé jusqu’à Paris, mais je préfère garder en mémoire le rêve de cette jeune fille, en souhaitant que les écoles publiques de ce pays soient très vite sur le chemin de la modernité sur le plan matériel.
Hier soir, la lune était là, généreuse dans sa rondeur, elle m’annonçait déjà ma 1ère pleine lune dans ce pays pour la nuit prochaine. Ce matin, j’ai mangé ma salade de fruits en contemplant le soleil se lever derrière la chaîne des montagnes.
Il me suffit de peu pour me laisser illuminer par quelques rayons de joie.